Capter l’attention de vos élèves : l’essentiel en sept points
Eric Berbudeau, journaliste MAIF Mag
9 min
MAJ avril 2024
L’attention est un bien précieux. Vos élèves peuvent vous l’offrir avec parcimonie s’ils n’en maîtrisent ni le fonctionnement, ni les enjeux. Nous avons repéré pour vous sept clés pour accéder à ce trésor convoité…
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Un défi aussi vieux que Jules Ferry
« Qui n’a été frappé, en pénétrant dans la cour d’un de nos grands établissements d’enseignement secondaire, de la mine maussade, éteinte et ennuyée d’un grand nombre de jeunes garçons ? » Ce verbatim est un bon moyen d’ouvrir ce dossier. N’imaginez pas un instant que vous êtes la première génération d’enseignants confrontée à un tel manque d’attention de vos élèves. Cette citation est tirée du monumental Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire publié en 1882 ! Bref, l’éducation a toujours été un sport de combat, avec des enseignants sur la ligne de front pour lutter contre le manque d’attention de leurs élèves. Bien sûr, les raisons de l’inattention sont aussi liées à des facteurs sociétaux qui ne sont pas les mêmes qu’au XIXème siècle. Mais le combat n’est pas désespéré, puisque des armes nouvelles ont fait leur apparition. C’est ce que nous allons évoquer dans les points qui suivent…
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Crise sanitaire : l’attention a pris ses distances
Ce n’est pas simple d’obtenir la plus grande attention des élèves en classe, mais c’est bien pire lorsqu’un coronavirus vous impose d’enseigner à distance ! Combien d’élèves ont décroché complètement pendant les confinements ? Durant le premier, entre mars et mai 2020, il existe un chiffre officiel : les enseignants estiment à 6 % dans le premier degré et 10 % dans le secondaire « la part d’élèves, dans leur classe de référence, n’ayant pas pu être suivis pendant la mise en œuvre du dispositif de continuité pédagogique ».
Ces élèves-là ont donc complètement disparu des radars ! Et grâce à l’étude Mes datas et moi, que nous avons confinancée, nous savons que trois élèves sur quatre ont eu du mal à se concentrer à distance.
Cette crise sanitaire a malheureusement prouvé combien l’enseignant, par sa présence physique, est l’élément essentiel qui attise, concentre, stabilise l’attention des élèves. Ce n’est pas une surprise, c’est un professionnel, faut-il le rappeler ici ? Cela demande un savoir, un savoir-faire, un savoir-être que l’expérience ne cesse d’enrichir. Nous avions d’ailleurs consacré, à l’attention des jeunes enseignants, un dossier 10 conseils pour tenir votre classe pour évoquer ces interactions essentielles qui se produisent « en présentiel » pour permettre d’enseigner dans de bonnes conditions.
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Atole : bien vu le programme !
« Levez la main ceux qui ont reçu un cours d’attention à l’école ! » Lors d’une conférence TEDx, Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’Inserm, invitait ainsi son auditoire à réagir. Personne n’a levé la main. « C’est étrange, on peut traverser son système scolaire avec des “Trop distrait” sur les bulletins, sans qu’on ne nous explique jamais ce qu’est l’attention et comment il faut faire pour être attentif. »
Spécialiste des mécanismes neuronaux de l’attention et de la concentration, chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, Jean-Philippe Lachaux a donc comblé ce vide avec Atole (apprendre à être attentif à l’école) : « Atole, c’est un programme pour apprendre l’ATtention à l’écOLE aux petits. C’est gratuit, et vous n’êtes pas le produit, cela existe encore ! Il a été financé par l’Agence nationale de la recherche, donc par l’État. »
Ce programme permet de visualiser simplement des mécanismes complexes du cerveau. Par exemple : « Rester attentif, pendant un exercice ou une explication, c’est garder notre attention stable, sans qu’elle bouge sans arrêt. C’est comme traverser une poutre sans tomber. Apprendre à se concentrer, c’est développer son sens de l’équilibre attentionnel. » Avec des personnages clés comme Maximoi et Minimoi, des routines mémorisables (RAP, PAM, PIM…), les enfants peuvent comprendre et réagir pour rester en équilibre et réussir leurs missions.
On ne nous explique jamais comment il faut faire pour être attentif.
Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’Inserm
En découvrant le site d’Atole, vous trouverez toutes les ressources nécessaires pour l’utiliser en classe. Et cette précision importante : « Atole ne vise pas à se substituer à toutes les autres bonnes idées qui aident à améliorer l’attention. Il vise à être, en plus d’une méthode pratique d’apprentissage de l’attention, une sorte de ”porte-manteau“ sur lequel peuvent venir s’accrocher toutes les autres pratiques judicieuses. Certains proposent d’apprendre aux élèves la méditation, la sophrologie, le yoga, la méthode Vittoz, la gestion mentale et d’autres pratiques encore qui semblent très prometteuses, dès lors qu’elles sont enseignées par des personnes qui les connaissent très bien. Atole peut alors fournir une base intéressante pour introduire ces pratiques, en montrant par exemple leur lien avec le fonctionnement du cerveau et comment elles peuvent effectivement avoir un effet positif sur l’attention… » Bref, cette méthode concrète est à votre main. Si elle est conçue pour de jeunes enfants, elle a aussi inspiré Adole, adaptée aux adolescents.
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Sous le capot du cerveau
Historiquement, les fondements de l’éducation ou de la pédagogie relèvent des sciences humaines (auxquelles les sciences de l’éducation sont rattachées). Mais si la question du « pourquoi apprendre ? » a été explorée depuis longtemps par les philosophes, le « comment apprendre ? » a bénéficié au cours du XXème siècle des apports considérables des différentes branches de la psychologie. Elles ont dessiné des zones de connaissances sur le fonctionnement du cerveau, mais aussi des frontières inexplorées que les neurosciences aujourd’hui sont en train de défricher.
Si Jean Piaget était la référence dans les écoles normales, Stanislas Dehaene en sera probablement une autre pour les enseignants de demain. Nous assistons à un moment formidable où le développement d’une science nouvelle bouscule l’ordre établi. On parle désormais de « neuroéducation » pour désigner un champ de recherches interdisciplinaires prometteur pour adapter ou créer des méthodes pédagogiques.
Dans le cas précis de l’attention, il y a tout lieu de croire que les enseignants prendront du plaisir à enseigner l’attention avec des outils nouveaux appelés à se développer. Ce plaisir sera d’autant plus grand que les enseignants aussi pourront comprendre comment fonctionne leur cerveau et accéder au monde merveilleux (ou presque) de la métacognition !
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Les parents sont des forces alliées
L’un des atouts du programme Atole, c’est qu’il est aussi conçu pour les parents d’élèves. Ce sont vos alliés pour cet apprentissage de l’attention. Ce que vous constatez en classe, ils le vivent aussi lors des devoirs à la maison ou d’autres tâches exigeant un minimum de concentration (donc une utilisation de l’attention pour accomplir une tâche).
Par ailleurs, avec eux, vous pouvez en profiter pour engager des actions dans le domaine de l’hygiène de vie des élèves, à commencer par celles concernant le sommeil, qui impacte directement l’attention des enfants. Car vous les avez tous vus, ces yeux qui se ferment doucement en classe, ces bâillements à peine contenus… La plupart de vos élèves manquent de sommeil ! L’Institut national du sommeil et de la vigilance, dans son enquête 2020 Conférence de presse (institut-sommeil-vigilance.org) menée avec la MGEN, annonce des résultats qui ne cessent d’alerter les spécialistes, avec des heures de coucher de plus en plus tardives et des déficits de sommeil qui se creusent. Et un constat : un quart des élèves de 11 ans et un tiers des 15 ans sont fatigués le matin !
10 à 13
heures de sommeil
recommandées pour les 3-5 ans
9 à 11
heures de sommeil
recommandées pour les 6-13 ans
8 à 10
heures de sommeil
recommandées pour les 14-17 ans
7 à 9
heures de sommeil
recommandées pour les 18-25 ans
Ce déficit est aggravé par d’autres facteurs, comme le temps passé sur des écrans avant de s’endormir, mais il faut noter que cette tendance est aussi sociétale : les enfants se couchent plus tard parce que leurs parents aussi. Ceci contribue à ce que certains parents d’élèves peinent à percevoir les problèmes liés à ce manque de sommeil, comme l’ont constaté trois chercheurs dans cette étude dévoilée par Le Parisien : « Les parents semblent penser, paradoxalement, que leurs enfants passent plus de temps que nécessaire sous la couette. L’étude relève en effet un écart de 30 à 50 minutes entre le temps de sommeil nécessaire estimé par les parents et celui effectivement constaté. »
Tant les élèves que leurs parents doivent donc être sensibilisés à ces questions, car le manque de sommeil peut provoquer bien plus qu’un déficit d’attention : par exemple en impactant la santé mentale des enfants ou en altérant très concrètement le cerveau des ados...
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L’attention indocile
Nous l’avons vu, l’attention se travaille et peut mériter un apprentissage dédié pour un élève en bonne santé. Mais la réalité, c’est que tous les élèves ne sont pas dans cette situation. Certains sont affectés par des pathologies qui peuvent affecter leur attention, à commencer par ces troubles spécifiques du langage et des apprentissages, qui eux aussi bénéficient actuellement de l’apport des neurosciences pour être mieux compris et diagnostiqués. Mais ces connaissances sont encore limitées, et la prise en charge de ces situations de handicap dans le système éducatif est un sujet complexe qui dépasse le cadre de ce dossier. Il faut noter que MAIF a développé des solutions éducatives sur ce sujet, notamment un Guide de scolarisation avec le ministère de l’Éducation nationale.
Notre attention, c’est l’or invisible convoité par tous les géants du numérique.
Par ailleurs, les enseignants sont confrontés à une autre réalité de santé publique, celle des addictions (alcool, drogues, écrans), qui ont évidemment un impact sur l’attention de leurs élèves adolescents. « De façon caricaturale, et volontairement provocante, on pourrait dire que l’entrée en adolescence est aussi une entrée en addiction », résume ce document belge de synthèse sur les addictions. L’addiction aux écrans est probablement celle qui ne cesse d’impacter le travail des enseignants depuis que les smartphones ont fait leur entrée en classe. Là encore, cela justifie un apprentissage de l’attention, grâce aux neurosciences. La websérie Dopamine, d’Arte, ou le document Derrière nos écrans de fumée, de Netflix, permettent de comprendre les mécanismes (et les intérêts !) en jeu.
On ne peut faire un dossier sur l’attention sans dire combien l’économie de l’attention est en tension permanente. Notre attention, c’est l’or invisible convoité par tous les géants du numérique. Pour la capter, des algorithmes surpuissants mobilisent les neurosciences pour occuper des parts de marché. « Alors que notre capacité d’attention est limitée, le nombre de sollicitations augmente, donc le temps d’attention sur chacune diminue, résume Jean-Philippe Lachaux Développement personnel : l'attention, ça s'entraîne ! | Les Echos. C’est cela la crise de l’attention. »
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La partition de l’attention : trouver le bon tempo
« Concentre-toi ! » Une telle injonction conduit forcément à une crispation contreproductive. Mais quand on a en tête une image bien différente de la concentration, celle d’une résistance aux coups de vent quand on marche sur une poutre, c’est une tout autre affaire ! Garder l’équilibre, insensible aux distractions, pour atteindre un but à notre portée. Cette image induit aussi une notion de durée : il est possible de maintenir son attention pour marcher sur une poutre, mais on ne peut passer toute une vie tel un funambule sur son fil. Le temps de l’attention n’est pas extensible à l’infini.
Il ne s’agit pas d’être concentré en permanence, mais de l’être au bon moment. Évidemment, une telle affirmation questionne fortement les rythmes scolaires… Les enseignants qui accompagneront leurs élèves avec le programme Atole verront vite que cette gestion active et consciente de l’attention est aussi un outil utile dans la vie courante. Ce n’est pas impossible que la métacognition, cette connaissance des mécanismes de notre cerveau, puisse conduire à une forme d’hygiène de vie mentale. Gérer ce qui alimente notre cerveau comme nous veillons sur les denrées que nous ingérons ? L’image est belle. Elle mérite un peu de réflexion. Et d’attention, bien sûr.